Pause café lundi 15 février 2010

Le cancan du Coderc est une chronique de Pascal Serre


Nous voici au petit matin du samedi 13 février. Veille de la Saint Valentin. Le temps est sec, froid avec un soleil qui voudrait faire oublier les morsures du gel.

Prévenant une température à notre goût polaire nous avions exclu nos fameuses « huîtres » et savions qu’un  café bien chaud ferait l'affaire.

Nous avions convenu le rendez-vous au bar de « La Truffe », chez Pascal Mesmin, à onze heures. Christian, Jean-Paul et Alain s’étaient décommandés à notre grand regret.

A l’intérieur, Bernard prenait son premier café assis au milieu d’une tablée de visages connus pour certains toujours emmitouflés, la casquette encore vissée sur la tête et le cache-col autour du cou.

Une épaisse buée plaquée contre la vitre du bar transformait le lieu en un champ clos, coupé du froid et du monde. J'eus le plus grand mal à me frayer un passage. Disant bonjour d’un côté, faisant du coude de l’autre. Au comptoir, cafés, petits blancs et demis faisaient bon ménage. La pendule marquait onze heures et dix minutes.

A la table des copains, au fond de la petite salle, la discussion était vive, très vive même. Les anciens potaches s’en donnaient à cœur joie. Comme d’habitude les joutes politiques constituaient le « pré carré » des fidèles garnements qui brocardaient avec affection leurs représentants où qu’ils soient et quoiqu’ils fassent.

Un ancien instituteur dont le nom m’échappe s’insurgeait contre le débat sur l’identité étranglé : « savez-vous que les enseignants basques écrivent leurs lettres au rectorat en basque ? La Loi est claire, les documents officiels doivent être en français. Et bien ils continuent au grand regret des agents qui reçoivent les lettres et ne peuvent les comprendre. Personne n’en parle. Le coup des « minarets » c’est plus médiatique. » Un ancien policier qui entendait préciser « de la police nationale » ayant conservé ses entrées poursuivit : « Sur Périgueux, le nombre de procès-verbaux aurait doublé en une année. Tout ça pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État ou de la commune. On a beau dire mais il y a encore vingt ans on ne parlait pas de rendement, de résultat. Ça me dégoûte et je peux vous dire que je ne suis pas le seul. » Tous les autres dodelinent de la tête en signe d’adhésion.

Derrière moi, la porte s’ouvrit laissant entrer un courant d’air glacial qui coupa la conversation.

C’était René. Il avait voulu « monter » comme il dit du Toulon en voiture et avait mis presque une demie heure pour se garer. Il n’était pas très content : « Et d’ici que je prenne une « prune » ! Ma femme ne veut plus venir faire ses courses en ville. L’an passé j’ai pris trois procès-verbaux de stationnement. Autant qu’en dix ans écoulés. Il faisait trop froid j’ai pris la voiture. »

Une table se libéra. Je m’y assis derechef. René enfourcha une chaise et barra tout accès à notre lieu de délibération. Bernard nous rejoignit. Tout en se frottant les mains pour se réchauffer, René interpella : « Trois cafés, s’il te plait Pascal ! »

Nous essayâmes maladroitement d’écouter la conversation de nos compères d’à côté. Ils étaient six ou sept. On ne savait plus. Ça allait et venait. Le brouhaha était assourdissant mais nous captions l’essentiel.

Ainsi, un expert en assurances dont nous tairons le nom : « Vous avez vu comment nos socialistes parlent ? Après Moyrand (1) qui dit sans ménagement, en plein conseil municipal, à l’opposition de se taire voici que Cazeau (2) lors de la dernière session du conseil général, cette semaine, après avoir indiqué que c’était lui qui donnait la parole s’est fait traité de dictateur ! Ça promet pour les prochaines semaines… »

Un retraité de l'administration départementale coupa la diatribe : « C’était déjà comme çà quand j’y étais avec Bioulac (3). N’oubliez pas que ce sont des gens comme les autres et qu’ils sont soumis à des pressions permanentes. » Le pauvre vit plusieurs mains se poser sur ses épaules et un de ses copains lui dire : «  mais oui, on les plaint. Tu te sens mieux ? »

Jeannette (4) arriva. Ni une, ni deux, elle virevolta : « alors les hommes on refait le monde ?! » Distribution de bises et notre « copine » prend la conversation en route : « Pascal, un kyr ! »

Nous voyant elle dit : « Ah je ne me lève pas. Vous venez me faire la bise ! » Nous nous exécutâmes.

Dés lors nous assistâmes à deux conversations parallèles.

«  Comment vous l’appelez celui qui a fait la grève de la faim ? Il paraît qu’il est venu à Périgueux, hier soir, à la gare. »

«  Oui, je me rappelle pas son nom mais c’est un copain à Bayrou. »

Bernard se pencha vers le centre de la table et nous fit signe de nous rapprocher : «  C’est Jean Lassalle. Il est venu pour les élections régionales. J’ai entendu dire que le ministre du Budget, Eric Woerth, viendrait à Périgueux autour du 9 mars. Ce sont les grandes manœuvres… Mais la gauche va conserver la majorité. »

Jeannot Boussuges dit « le Poète du Coderc ».
Lire « Ode à Jeannot », un poème composé par Xavier Darcos ministre du Travail pour Jeannot à l'occasion de la remise de ses palmes académiques
René de poursuivre : « Oui, mais Moyrand et Darcos vont regarder au microscope les résultats sur Périgueux pour mesurer la situation municipale… C’est là l’enjeu les petits gars. » Je partage son avis. Et Bernard de dire : « Darcos est en service commandé. Il sera récompensé. Il sait bien qu’il ne peut pas être ministre et président de région… Certains parlent que Sarkozy le garde dans la liste des futurs Premiers ministres. »

Nous profitions, pour une fois, de ces débats qui n’avaient – reconnaissons-le – rien à envier aux nôtres. Mais sans nos autres « potes » on se sentait orphelins.

J’en profitai quand même pour donner des nouvelles de notre poète du Coderc, Jeannot Boussuges : « Maurice Melliet (5) qui va le voir tous les jours m’a dit qu’il avait eu un accident cardio-vasculaire, qu’il se reposait à Lanmary (6) et entamait une rééducation. Il récupèrera petit à petit… » La petite équipe était rassurée et le message serait transmis aux absents car Jeannot est une figure à laquelle nous sommes attachés.

René devait acheter une carcasse d’oie pour faire de la soupe et, ensuite, la faire griller. «  C’est pas cher et excellent » dit-il.

Raphaël et Jean-Louis Chartroule de Milhac-d’AuberocheRené, en bon Périgourdin, a ses habitudes. Pour lui, il faut se rendre chez Raphaël et Jean-Louis Chartroule, face au magasin Jacadi et à la Halle. Ceux-ci viennent tous les samedis de Milhac-d’Auberoche. Selon René : « C’est une vieille famille périgourdine qui produit des conserves de foie gras d'oie, terrines, confits, magrets, rillettes... ainsi que des poulets fermiers élevés au grain de la ferme et prêts à cuire et des oies grasses découpées avec leurs quartiers, carcasses, foie ou abattis. Leurs produits sont totalement maison, en fonction des saisons. »

À l’angle de la place et de la rue Limogeanne, face à « Game », magasin de jeux vidéo nous trouvâmes Jean-Jacques Dallemand (7) qui est animateur de « Marines Poésie ». Il était en pleine discussion avec un jeune habillé de bleu et portant un badge Unicef. Nous les saluâmes et entreprîmes  une courte conversation. Ce jeune qui se prénomme Nicolas venait de Toulouse et quêtait pour l’organisation internationale. Il trouvait les Périgourdins radins. «  Ça rime mais c’est peut-être aussi qu’ils n’ont pas d’argent » releva René toujours prêt à dégainer.

Il était midi. Quelque peu désorientés, le temps se couvrant et virant au camaïeu de gris annonciateur de neige, nous mettions un terme à notre escapade hebdomadaire. L’enthousiasme n’était pas de rigueur.
Une sorte de pause café.
Auteur : Pascal SERRE
(1) (1) Maire de Périgueux
(2) Sénateur  depuis 1998 et président du conseil général depuis 1994
(3) Président du Conseil général de la Dordogne de 1982 à 1992
(4) Voir le cancan du Coderc du samedi 26 décembre 2009
(5) Personnalité de la publicité et des médias qui œuvre pour de nombreuses actions humanitaires et poète membre des Hydropathes
(6) Maison de convalescence située à Antonne-et-Trigonant
(7) Sociologue des Arts. Voir le blog de Jean-Jacques Dallemand

Pascal SERRE
Membre :
  • Institut Montaigne (Paris)
  • Fondation Terra Nova (Paris)
  • Fondation de la France Libre (Paris)

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Commentaire de Anonymous Un insomniaque , le 17 février 2010 à 05:37  

Merci à l'auteur pour l'agréable moment que j'ai eu en lisant son cancan.
Je souhaite un prompt rétablissement à Jeannot le poète du Coderc et j'offre ma reconnaissance à notre ami Maurice Melliet qui l'a découvert et a été son protecteur durant toutes ces dernières années.

Commentaire de Anonymous Chantal , le 21 février 2010 à 18:26  

Toujours aussi interessant ces gentils cancans ...
Merci !!!

 

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