L’identité Périgordine au bout du comptoir lundi 28 décembre 2009

Le cancan du Coderc avec Pascal Serre


Nous n’étions guère à nous retrouver ce samedi 26 décembre. On le savait mais nous étions quelques uns à avoir affronté le froid sec qui attend le soleil pour se disperser. Nous étions entre deux huîtres et et étions convenus d'un vin chaud ou un café.
C’était lendemain de fête. Nous avions élu domicile au « Bar de la Truffe », juste pour un café et cancaner comme on dit chez nous. Le marché n’avait pas les joues colorées et les allées étaient un tantinet désertes. Bon, d’accord, on se poussait dans le bar et le brouhaha obligeait à élever le ton pour se faire entendre. Nous avions notre « Sud-Ouest » et notre « DL » que nous n’eûmes pas le temps de feuilleter ni bien sûr de commenter... Mais nos rencontres sont ainsi faites sans obligation, ni planning et même – horreur ! – sans montre.

Alors quand Jeannette est entrée alors là on entendait plus qu’elle. C’est que Jeannette est une institution. À son âge, que nous ne révèlerons pas car inconnu, elle est la plus fine connaisseuse des familles locales et des années qui vont de l’occupation à aujourd’hui. Chaque mercredi et samedi, depuis toujours, elle vient en voiture place du Coderc : « Et c’est pas Moyrand avec son cœur piéton qui me feront changer d’avis ».

Elle n’est connue que des Périgordins et il n’y a qu’elle pour vous raconter avec émotion la fusillade des jeunes place Montaigne en aout 1944 : « Je les ai entendus agonir toute la nuit, c’était dégueulasse !! ». Et de reprendre aussitôt sa joie de vivre, les yeux pétillants mieux que du champagne millésimé, la coiffure apprêtée et le verbe haut : « je peux m’asseoir et prendre un verre avec vous ?!». On n’avait pas dit oui qu’elle était déjà assise. « Oh mais je prend pas un café. Je veux un kir mon chéri » en prenant le coude du patron et lui disant “mais toi aussi tu as droit à la bise.»

Accoudé au bar, le poète, Jeannot boit tranquillement sa menthe à l’eau. Lui aussi aurait des choses à dire. Mais il écrit des poèmes et sa barbe d’anarchiste signe le pacifiste qu’il n’a cessé d’être depuis l’Algérie. Jeannette : « Bonjour, Jeannot, viens que je te fasse la bise. C’est Noël.». Et de poursuivre : « Jeannot, je l’aime ! Il était contre la guerre en Algérie. Moi aussi. Je suis contre toute les guerres.»

Notre ancien fonctionnaire du Conseil général se penche vers le centre de la table et adoucit le timbre de sa voix, nous entendant évoquer l’Algérie « J’ai bien connu Lacoste (1) quand il était président en Dordogne et ministre en Algérie. Il ne fallait pas lui en promettre et il savait faire sauter les jeunes secrétaires sur ses genoux. » Et Jeannette de reprendre : « Et dites donc les maires Pugnet (2) et Barrière (3) se sont-ils gênés ? »

José avec son grand chapeau, expert de son état, toujours en quête de produits frais et goûteux mais aussi fin connaisseur des petites histoires périgordo-périgordines entre à son tour et s’exclame de bonheur, se fraye un passage, pose ses cabas et en levant les bras comme le faisait le « Général » : « Ils sont là !» Et un petit un kir pétillant avec plein de petites bulles d'amitié pour saluer son arrivée. « Allez Jeannette, dit-il, on trinque ! » Et la jeannette de faire le tour de table sous les applaudissements des présents.

José est une figure. Un fêtard des années soixante et soixante-dix avant de se ranger. Connu comme le loup blanc. Son père était le patron du Service d’Action Civique en Dordogne avec un certain Pascal Vittori et Guéna faisait son premier pas cours Fénelon. Il n’y a pas plus délicat que José, charmant et humaniste : « vous savez tout ça c’est du passé et on se rendait pas compte. » Et tout en demandant un second kir, Jeannette de renchérir : « Moi je me rappelle quand des Périgordins qui vivent encore allaient rue Fournier-Lacharmie, là où il y a le truc d’électricité, pour qu’on ne les voit pas. La Gestapo venue de Clermont-Ferrand, une fois par mois, leur donnait de l’argent en échange d’adresses de juifs ou de résistants. Oh mais si c’était maintenant ce serait pareil ! » Notre vieux retraité de la SNCF qui avait connu apprenti la Compagnie du Paris Orléans de reprendre : « il y avait bien un bordel dans la Camille Desmoulins à côté des casernes pour les boches. Les victuailles et vins fins ne venaient pas de Berlin… » Rires gras de toute la salle.

« Patron ! clame José, vous remettez ça et c’est pour moi ! » Et bien sûr, l’incontournable attaque du « Train de Neuvic »(4) s’est arrêtée sur la table avec toujours des révélations nouvelles qui ne doivent pas être répétées. C’est peut-être là finalement que l’histoire s’écrit. Car à ce moment j’ai eu le sentiment que les esprits s’échauffaient. Doucement, sans que personne ne me remarque je quittais le « Bar du Coderc » en entendant Jeannette dire « On va pas en rester là, une autre tournée Patron ! » Histoire d’avoir la vérité sur les milliards de Neuvic ? Qui sait. En tout cas, Éric Besson devrait être content : le débat sur l’identité ici, place du Coderc n’existe pas.

(1)Robert Lacoste ( 1898-1989)
(2)Roger Pugnet (1898-1972)
(3) Lucien Barrière (1902-1971)
(4) Le 26 juillet 1944 la Résistance attaque un train à Neuvic et dérobe 2,28 milliards de francs qui font encore fantasmer toute la région


PASCAL SERRE
Rédacteur en chef :
  • JOURNAL DU PERIGORD
  • DIRELOT
  • DORDOGNE PERFORMANCES
Membre :
  • Institut Montaigne (Paris)
  • Fondation Terra Nova (Paris)
  • Fondation de la France Libre (Paris)

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Commentaire de Anonymous Anonyme , le 28 décembre 2009 à 20:20  

Bar de la Truffe ou bar du Coderc ?
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