Tu allais à la messe ? mardi 26 janvier 2010

Le cancan du Coderc une chronique de Pascal Serre


En ce samedi de milieu de mois de janvier c’est une belle matinée d’hiver qui s’offre à nous. A la Périgourdine : sèche, une note de soleil entre deux grosses masses de nuages gris sympathiques. Les terrasses des bars et autres lieux de « delicatessen » de notre place préférée — les autres sont toutes aussi charmantes — sont bien chargés.

« Alors, demande Alain, on fait une dégustation d’huîtres où autre chose ? » De l’avis général on vote pour la nouveauté : aller chez « Fée maison ». « On s’était promis d’y aller » je souffle dans l’oreille de mon ami Christian.

Terrasses dédiées avant tout aux fumeurs, mais aussi quelques touristes que l’on repère très vite à leur façon particulière de paraître surpris de ce qui nous est habituel. Ils ne posent pas les yeux de la même manière sur les tomates ou les cabas de nos messieurs qui accompagnent leur dame. Et puis il y a ces journaux dépliés aux noms inconnus et qui fleurent bons le nord de l’Europe.

La façade de la Fée Maison sur la place du Coderc à Périgueux
La Fée Maison sur la place du Coderc à Périgueux. On entrevoit la rue de la Sagesse à gauche
Nous voici devant la façade de « Fée Maison », chez Marie. Mais à l’intérieur pour l’intimité toute relative il est vrai car il y avait du monde. Ce n’est pas encore une institution mais tout est fait pour que celle-ci le devienne. Ce n’est pas la même clientèle que chez nos autres compères mais il faut savoir changer.

Marie est une personnalité. Toute petite mais des yeux magiques et un sourire incomparable. Jean-Paul, notre ancien artisan de serrurerie-plomberie et chauffage, toujours au fait de la vie locale l’a connue quand elle tenait « le Lutétia » place des jets d’eau comme disent les vrais Périgordins, là où il y avait le théâtre jusqu’à la fin des années cinquante : « je prenais quelquefois un café ou un demi. C’est bien ce qu’elle a fait. C’est différent de notre « Coderc » ou de notre « Truffe » faut bien s’ouvrir au… monde »

C’est vrai qu’à Périgueux le monde s’ouvre au coin de la rue. C’est une spécificité des villes de province qui ont un charme indéfinissable et des secrets bien conservés.

Et la discussion est lancée quand on découvre le serveur, Jean-Luc Peteytas : « Tu es là toi ! » s’enquérit Alain qui a bien connu la vie commerçante et les familles Périgourdines de l’après-guerre à la fin des années soixante-dix. — C’est que la famille « Peteytas » est familière de Périgueux et engagée dans la vie du diocèse — « je croyais que tu étais toujours au Café de Paris avec ton frère. »

« J’ai connu, commente Christian, notre fonctionnaire de la préfecture, Jean-Claude, son père aujourd’hui diacre. C’était à l’église Saint-Georges où, déjà, il participait à la vie de la paroisse au début des années soixante. » Je confirme sans confession.

« Tu allais à la messe toi ? » tranche René, notre communiste. « Et oui, répond Christian, pour faire plaisir à ma défunte femme. »

Pendant ce temps, notre serveur, pris par son travail, avec beaucoup de gentillesse nous laisse à nos souvenirs. C’est que la salle est pleine et nous trouvons peu de visages connus mais peu importe. Nous avons notre café avec son chocolat et on peut continuer à se remémorer le bon temps.

Guy Penaud, historien périgordinGuy Penaud, historien périgordin
René : « Quand je pense que ses deux fils, Jean-luc et Stéphane sont « barman » c’est un autre monde quand même. Tous les deux travaillaient au Café de Paris. » Nous l’écoutons avec intérêt, en découvrant l’arôme de notre café bien chaud à souhait : « Selon notre historien local Guy Penaud le Café de Paris aurait été ouvert à la fin des années 1880. C’était un théâtre avec des concerts. Il y avait un jardin d’été et une grande salle d'hiver. Je me rappelle y être allé danser jusque dans les années soixante. On y faisait aussi les meetings politiques. Et c’était chaud, il y avait de la contradiction à l’époque. » Stéphane dit « Mafio » est toujours au Golden Ice Café ou, si vous préférez au « Café de Paris ». Jean-Luc a suivi Marie quand elle a ouvert. « Vous croyez, poursuit Jean-Paul, qu’un historien parlera de nous ? » Rire général des cinq compères.

« J’avais entendu parler de tout cela mais saviez-vous que Jean-Claude — le père de Jean-Luc et Stéphane - est même l’aumônier des forains et des artisans de la fête ? » reprend Christian.

Et chacun, en chœur de dire : « Et bien ce qui est commun à tout ça c’est la fête ! » Une petite gorgée de café et René prend la parole : « Moi, je vais vous dire, je suis un mécréant mais notre évêque (2) il fait du bon boulot » Et de continuer : « Vous avez vu comme il a pris la parole pour défendre les gars de chez Marbot (1). J’ai lu dans le journal qu’il était allé voir les prisonniers et, ce qui ne gâte rien c'est un fan de rugby. Pas côté gradin, il a souvent usé ses crampons du côté de Castres dans le Tarn. Il paraît qu’il est d’une simplicité qui marque, de mon point de vue et avec mon âge les gens intelligents. On est loin de l’époque où il fallait baiser l’anneau de l'évêque en s’agenouillant. Je me rappelle de l’arrivée de Jacques Patria (3), ce devait être en 1965, il y avait encore le Garde suisse et on ne badinait pas avec l'Église. C’est tout juste s'il n’y avait pas la chaise à porteurs. C’était encore l’époque de l'alliance du « sabre et du goupillon ». Autant vous dire que je n’y étais pas. »

Alain : « J’ai un ami qui m’a dit qu’il allait être admis à la confrérie du Pâté de Périgueux et qu’il savait bien manier la fourchette et apprécier les bons vins. »

Le café est achevé mais la conversation se prolonge. Cela faisait deux semaines que l’on ne s’était pas retrouvé et il manque du monde à l’appel. Tant pis. On demande à Jean-Luc un nouveau café pour la route. Jean-Paul reprend : « C’est quand même une ville extraordinaire où nous vivons. Je croisais tout à l’heure, devant la mairie, le responsable des musulmans de Périgueux. Je n’ai pas pensé un seul instant à ces histoires de minarets. Il était entouré de ses clients et clientes car il vend des fleurs. Ce n’est pas beau tout ça ? » Et René de conclure en demandant l’addition : « Vous voyez les copains, le débat sur l’identité on vient de le faire et on a pas fait l’ENA ! »
Auteur : Pascal SERRE
(1) Marbot est une usine de chaussures située à Neuvic-sur-l’Isle qui fut un fleuron de l’économie locale avec près de 2 000 personnes et qui vient de licencier ses 72 derniers salariés.
(2) Michel Mouïsse
(3) Jacques Patria né en 1915 fut évêque de Périgueux et Sarlat de 1965 à 1988. Il est décédé en 1999.


Pascal SERRE
Membre :
  • Institut Montaigne (Paris)
  • Fondation Terra Nova (Paris)
  • Fondation de la France Libre (Paris)

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Commentaire de Anonymous Anonyme , le 6 février 2010 à 21:59  

TRES BONNE CHRONIQUE DE PASCAL ET TELLEMENT VRAI

 

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