Du Coderc à Haïti lundi 18 janvier 2010

Le cancan du Coderc une chronique de Pascal Serre


Ce petit matin du samedi 16 janvier était délicieux. Tout d’abord, ce temps gris succédant à une brume hivernale, cette petite pluie crachotante, fine, doucereuse parfois qui vient titiller nos beaux vêtements encore tout apprêtés pour les fêtes de noël, le vent qui tacle les joues et les rosit. Le tout sans excès. Et puis, tout le rituel des lieux a repris ses marques. Le Coderc reste le Coderc. De l’entrée de la rue Saint-Silain au « Bar » il faut bien une demie heure…

« Deux semaines sans se voir c’est long quand même… » lance René venu à pied du Toulon et qui se frotte les mains. Jean-Paul, notre artisan de Saint-Georges « allez on rentre au Coderc et on prend un café pour commencer. » On attend Christian, notre fonctionnaire de service qui longe l’ancienne poissonnerie moderne devenue « Fée maison » qu’il nous faudra — à notre façon — inaugurer. Surtout que Marie est une adorable petite femme bigrement active et professionnelle. Christian arpente avec un gros cache-col, saluant au passage en soulevant son chapeau, les uns et les autres franchissant ainsi les derniers mètres qui nous séparent de lui un peu comme un cycliste à une arrivé d’étape.

On entre dans le bar toujours archicomble et on arrive à occuper une table, la seconde étape étant de trouver les chaises pour chacun autour de nous.

« Quatre cafés s’il vous plaît chef ! » clame René qui pousuit : « Quand on s’imagine au séisme neigeux de la semaine passée qui nous a été imposé on est un peu sans voix. » « Alors, les gars, dis-je, avez-vous vu en Haïti ? C’est autre chose ! » Et en chœur, les trois autres : « Ah ça c’est sûr ! ».

Je sors de ma poche des photos reçues d’Haïti dans la nuit par internet avec quelques commentaires. Sur cette même place du Coderc, en 2005, à l’occasion du Congrès de l’Union des Clubs de la Presse Francophone, le Président du club d’Haïti était venu avec une jeune journaliste du pays, Nicole Siméon . L’année suivante, elle revenait en stage à Sud-Ouest. Maurice Melliet, artiste, poète humaniste bien connu dans Périgueux, s’était rendu aussi en Haïti en mission humanitaire.

Les régatiers se rappellent encore de ses passages truculents et joyeux de Nicole et elle avait même accouché d’une petite fille – Sarah – en juillet dernier à Paris. Elles étaient venues se reposer à Chancelade. Et le papa, journaliste coopérant Français en Guinée les avait rejointes. Nous devions leur rendre visite en Haïti cette année ou l’an prochain. »

Inutile de dire l’angoisse à partir de jeudi et le temps passé à essayer d’avoir des nouvelles. Nicole avec sa petite fille Sarah ont été extraites dans les premières heures pratiquement indemnes. Après 36 heures sous les décombres, Roxanne, Mwinda (entre 7 et 12 ans) et Rose, la nounou ont été sortis par la protection civile française. Une chance inouïe. Seul Internet a permis les contacts. Aucun réseau téléphonique. Voici les commentaires de Nicole : « Il s'agit de l'amas de béton et de fer qu'est devenue la maison de Flore qui travaille à l’ambassade de France à Port-au-Prince et des filles; le dégagement des filles et de Rose, leur nounou, après près de deux heures de travaux par les pompiers français et une photo souvenir de tout ce beau monde, sale, fatigué, puant la pisse de clochards, mais nous tous heureux, tellement heureux de ce dénouement miraculeux. Merci aux uns et aux autres pour votre soutien. On a perdu beaucoup d’amis et de connaissances. Nos maisons sont en ruines, quand elles ne se sont pas carrément effondrées. On dort à la belle étoile depuis trois nuits (il n’y a que les enfants qui s’en amusent) de peur que ce qui est encore debout ne s’effondre sous les petites secousses qu’on continue à avoir. Il y a une vraie solidarité entre nos voisins. Haïti est sur les genoux. On approche les 100 000 morts et trois millions de sans abris, peut-être 300 000 blessés, on ne sait plus... Les aides tardent à arriver à la population. On commence à craindre les pénuries en eau potable et en produits de première nécessité, on a sérieusement besoin de l’aide extérieure… on craint des épidémies pour les semaines à venir.
Merci de vos prières pour ceux qui y croient : pourvu qu’on n’ait pas de réplique…
Alors là, personne ne pourra survivre... » (samedi 15 janvier 04h 42)

Maurice Melliet et Alain Bernard
Maurice Melliet l'humaniste et Alain Bernard le journaliste au canotier lors d'une fête donnée au Théâtre en son honneur
Découvrant les photos, les potes sont médusés. « Mais on ne savait pas que Périgueux avait des liens avec ce pays si éloigné et si pauvre… » reprend Christian alors qu’à l’extérieur une poignée de bonbons vole en l’air, et qu’une voix de stentor réchauffe le banc d’huitres de Jeanine qui lui en ouvre une que le journaliste au canotier dévore sans partage. « Je peux en avoir une autre ? Tu es merveilleuse, divine ! » Et hop notre « localier » disparaît. La vie reprend ses droits.

« Mais, dis-nous, tu ne penses pas allez là-bas pour les aider ? » interroge Jean-Paul. Et de reprendre la parole : « Si, mais c’est très difficile. N’oublions pas que le Directeur de Cabinet du Ministre de la Coopération est Périgordin : Jérôme Peyrat. Qu’un autre Périgordin est secrétaire-général adjoint de l’Elysée, Christian Frémont. Ça peut aider mais il faut que l’aide proposée corresponde à un besoin. En matière de presse presque tout est à reconstruire. » Le patron du bar qui a écouté distraitement : « L’argent c’est bien mais faut aussi des gros bras pour faire le travail. Je vous sers autre chose ? » René insiste « quatre cafés et c’est pour moi ! »

Il est midi trente. Un peu sous le coup de ces événements d’Haïti on a oublié tout le reste. Mais, juré, craché, ne croyez pas que les petites histoires locales se sont arrêtées pour autant. À la semaine prochaine.

Auteur : Pascal SERRE
UIISC 7 à BrignolesUIISC 7 à BrignolesUIISC 7 à Brignoles
Les rescapés devant les pompiers de UIISC 7* à Brignoles avant qu'ils aillent aussitôt délivrer d'autres victimes du séisme. *Lire le commentaire ci-dessous.

Pascal SERRE
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  • Institut Montaigne (Paris)
  • Fondation Terra Nova (Paris)
  • Fondation de la France Libre (Paris)

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Commentaire de Anonymous jean-pierre , le 18 janvier 2010 à 09:56  

Si cette catastrophe pouvait remettre à leurs justes valeurs, nos bobos, nos perpetuelles contestations...

Commentaire de Anonymous chantal , le 18 janvier 2010 à 18:47  

L'homme est tellement individualiste qu'il faut une catastrophe pour qu'il y ait de l'entraide.

Commentaire de Anonymous Anonyme , le 13 mars 2010 à 08:46  

Sur la dernière photos il y a une erreur. "Les pompiers de la Sécurité Civile de Marseille" n'existe pas.
Il y a les Sapeurs-Sauveteurs des UIISC 1 à Nogent-le-Rotrou, UIISC 5 à Corte, UIISC 7 à Brignoles, qui dépendent de l'Armée de Terre et qui sont disposition de la Sécurité Civile (En l'occurrence ce sont eux sur les photos).
Et après il y a le Bataillon des Marins-Pompiers de Marseille pour l'unique défense de Marseille, de l'aéroport et de la société Eurocopter. Ces derniers dépendent de la Marine-Nationale.

Ce sont donc deux corps bien différent, malgré que ce soit tous les deux des militaires.

 

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