Thierry Boisvert l'ami que je n'ai jamais eu mardi 19 juillet 2011

Début juillet dernier, j'apprenais par les journaux régionaux la disparition de Thierry Boisvert. Si son nom m'était inconnu, son visage, lui, m'était familier.

Je ne fus pas surpris en le reconnaissant sur la photo qui illustrait l'article énumérant quelques jalons de sa brève existence, mais j’éprouvais quelques remords... Laissez-moi vous expliquer :


La dernière fois que je l'avais aperçu, c'était à une table du Café de la Place devant laquelle un de ses amis avait poussé son siège roulant. Il faisait beau.

Le visage que j'avais connu et qui avait durant trois ans retenu mon attention parce qu'il exprimait la richesse d'une âme peu commune, s'était presque éteint. Sa chevelure si abondante qui le caractérisait, et dans laquelle venait se perdre de temps en temps un petit nuage de fumée, s'était ternie elle-aussi. Seuls ses yeux bleus brillaient d'une lueur à peine plus faible au travers de ses lunettes rondes, comme pour dire à la faucheuse qui approchait : « donne-moi encore un peu de temps ». Le soleil le réchauffait, et le crabe imperturbable continuait à le ronger.

La seule et unique fois où j'avais pu adresser la parole à cet homme dont l'aura me fascinait, il venait d'apprendre que le crabe avait élu domicile dans ses poumons. C'est sans pudeur particulière qu'il me l'apprit, à deux pas de la caisse d'une brasserie où lui et moi venions de payer notre addition.

Lui non plus ne me connaissait pas. De temps en temps, c'est vrai, nos regards se rencontraient. Il me souriait furtivement ; parfois c'était moi qui le premier esquissait un sourire, un peu ennuyé qu'il ne fût pas tout seul pour que j’ose m'approcher et lui tendre la main comme je l'ai fait avec tant d'autres personnes auparavant. Mais il n'était jamais sans son clan et celui-ci me paraissait fermé et même interdit. Nous avions fini malgré tout par nous reconnaître à défaut de bien nous connaître. Il avait dû savoir ce soir-là, après que je me fus adressé à lui, qu'il aurait vite pu me compter parmi un de ses amis les plus chers et plus sincères.

Mais il était presque trop tard. Déjà Thierry semblait plus fatigué que les autres fois. Nous échangeâmes quelques banalités sur l'irrégularité des plats servis en cet endroit, puis un léger trémolo dans la voix, je lui souhaitais de bien retrouver la santé. Que pouvais-je dire d'autre de plus séant ?

Lorsque je revis Thierry Boisvert, en mai ou juin dernier, je n'eus encore une fois pas assez de cran pour venir troubler le clan. Pourtant je savais... la faucheuse était là ; et l'ami qu'il aurait pu être s'en vint une ultime fois.
Auteur : William Lesourd
Photo prise le jour de la sortie et de la présentation au public et à la presse de l'audioguide visuel « Raconteur d'histoire » concernant la découverte et visite du coeur historique de Périgueux. © Droits Réservés

Au centre, Thierry Boisvert : Iconographe irremplaçable, documentaliste de cette aventure mêlant le son et l’image. A la droite, sur la photo : Thomas Gibertie : Scénariste, documentaliste et infatigable chercheur et lecteur de l’Histoire de la ville. Laurent Labeyrie : Info graphiste sur mesure, programmeur et concepteur de la navigation.

À gauche de Thierry sur la photo, Michel Grégoire : Auteur multimédia, coscénariste, réalisateur sonore et guide-narrateur (et auteur de l'hommage qui suit). Jean-Charles Pouyot : Initiateur, commanditaire et coordinateur de cette visite du « secteur sauvegardé » pour l’agence qu’il dirige : « Echappée Belle »

Michel Grégoire est l'auteur de Périgord - 100 lieux pour les curieux, un recueil touristique d'endroits insolites en Dordogne dont la revue par Pascal Serre sera postée vendredi matin dans la rubrique LECTURE POUR TOUS.

TEXTE POUR LES OBSEQUES DE THIERRY BOISVERT / Michel Grégoire et les amis de Thierry

MONTAGNAC-LA-CREMPSE/ 04 07 2011

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Chers amis,

Je tiens à remercier d’abord, au nom de tous, et du fond du cœur, la famille de Thierry Boisvert qui a permis de faire une place à la vaste tribu qu’il avait patiemment constitué au fil de sa vie ; de ses vies… multiples mais toujours guidées par la passion et l’engagement.

Une tribu faite de handballeurs qui se souviennent de leurs jeunesses et de la pugnacité de cet équipier solide et déjà résolu, de musiciens de bal, de joueurs de vielles ou de cabrettes, d’historiens, d’archivistes érudits, de collectionneurs passionnés, de photographes, de conteurs d’histoires et de puits à souvenirs.

Une tribu, sans chef à plumes, où tout le monde jouent aux indiens.

Une tribu dont la devise pourrait être : amitié, probité, fidélité !

Et nous nous retrouvons aujourd’hui, sans forcément nous connaître, dans ce village, si cher à son cœur  où il a tenu à nous réunir : Montagnac-la-Crempse.

Il ne s’agit pas ici de faire la biographie académique de ce farouche autodidacte — selon sa propre expression — et de cet ami au destin si singulier… (autant essayer de faire passer un mammouth dans le chas d’une aiguille)… car, ici, chacun possède, au fond de lui, un morceau de ce puzzle précieux ; aux innombrables pièces qui, réunies peu à peu, donneront, un portrait émouvant et l’une des plus belles images qui soient : celle d’un homme exigeant, au caractère souvent rugueux, aimant la vie…et l’histoire des autres hommes. Quant aux livres, qu’il a signés, auxquels il a participé, souvent gracieusement, aux expositions, aux images et aux sons de toutes sortes qu’il a collectés, ils sont, eux aussi si riches, et si rares qu’ils sont devenus, au fil du temps un trésor ; une référence incontournable, tant pour les savants que pour les petites gens de la plus modeste commune.

Cette mine, il lui a donné un nom ; digne de son amour des mots et de son humour : « LA THEQUE » ! Une encyclopédie amoureuse, jubilatoire et minutieuse que Diderot n’aurait pas reniée. Il faut savoir que dans l’épreuve qu’il a traversée, il n’a jamais perdu son ironie et nous avons eu jusqu’au bout un homme à la mémoire légendaire et intacte. Toujours près à un sourire, une contrepèterie ou à un bon mot d’…esprit.

S’il confie dans son ouvrage dédié aux photographes de Dordogne qu’il est un « enfant de la télé et du transistor » qu’il découvrait, vers 12 ans, tel un passager clandestin du vaste monde, c’est à sa grand-mère Alice qu’il doit sa vocation pour l’image, la transmission et le partage. Lorsqu’elle lui a confié son album de cartes postales, elle a éveillé son insatiable appétit pour ce que racontent les photos jaunies.

Pour Thierry, il ne s’agit pas seulement de voir mais aussi de savoir ! Ce dévorant amour pour ce qu’on nomme le « Patrimoine » (qui signifie : ce que nous ont légué nos pères) allait marquer sa vie et la notre. Mais, qu’on ne s’y trompe pas ! Le patrimoine de Thierry n’a rien à voir avec une « collectionnite » où l’on amasse, pour soi-même  tout et n’importe quoi. Chaque photo de sa caverne d’Ali Baba, il connait son histoire et s’en est souvenu jusqu’aux derniers instants. Son patrimoine à lui n’avait rien du folklore poussiéreux et figé ; loin du pittoresque factice, passéiste et caricatural.

Le patrimoine de Thierry est, et demeurera VIVANT !

Il savait cependant rire de lui-même et de sa période musique traditionnelle du Périgord, chants villageois et art populaire en déclarant, avec ce ton « pince sans rire » et presque britannique : « Moi, le patois ; je le parle mais je le comprends pas ! »

Thierry c’est la sensualité ; sous toutes ces formes ! Les 5 sens étaient aux rendez-vous : la musique lui caressait les oreilles, même la chabrette et la cornemuse ; les images le bouleversaient, la cuisine parlait à ses papilles, les senteurs des livres anciens ou de l’encre flattaient son odorat et lorsqu’il fut un temps luthier, il câlinait la table d’harmonie des vielles à roues avec la délicatesse et le soin d’un artificier.

Il ajoutait à ces sens émotionnels et exacerbés chez lui, un sixième sens ! La signification ! Il fallait que ces images, ces enregistrements aient un sens : Il fallait que tout cela dise quelque chose et fût utile !

A ce propos, j’ai assisté à l’une des scènes qui nous avait tous deux bouleversés. Tandis que nous avions réalisé, avec une tribu inédite, un « vidéo guide commenté » sur l’histoire du cœur historique de Périgueux, entre une évocation en images des transformations de la cathédrale Saint Front et le récit des réjouissances des baladins sur la place de la Clautre contée par Thierry Baritaud, des bâtiments de France, il fut question des « rues neuves » , un quartier légendaire sauvagement rasé dans les années 50. Un natif de ces « rue neuves » a reconnu sa rue, sa modeste maison et la fenêtre de la cuisine. Il n’avait jamais vu de photos de cette enfance qu’il pourrait enfin partager avec ses petits enfants. Ce bonheur tardif et les larmes qui ont suivies, il ne savait pas qu’il les devait à Thierry.

TEXTE POUR LES OBSEQUES DE OBSEQUES THIERRY BOISVERT / Michel Grégoire et les amis de Thierry

MONTAGNAC-LA-CREMPSE/ 04 07 2011

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Mais Thierry, pour minutieux, perfectionniste, sérieux et intraitable qu’il fût, avec lui et avec les autres, est resté un enfant. Espiègle, capricieux, orgueilleux, colérique parfois.

Lorsqu’un de ses complices, le Docteur Watson de ce Sherlock Holmes, l’appela pour lui dire qu’à Toulouse, il avait trouvé une photo de 1860 sur la construction de forges à Thiviers qu’il ne connaissait pas ! Il n’a pas pu le concevoir ni l’accepter. Cette rareté, il la lui fallait ! Il prit rendez-vous avec le propriétaire, fit l’acquisition de cette image et entrepris aussitôt une enquête digne de Colombo et d’Hercule Poirot réunis.

Il finit par apprendre que l’auteur de la prise de vue reposait au cimetière du Nord, il s’y rendit et observa que sa tombe était entretenue. Donc, « Bon sang, mais c’est bien sûr ! » : une famille avait survécue. Il fallait la retrouver.

Opiniâtrement, il finit par savoir le fin mot de l’histoire pour mieux rendre à César ce qui lui appartenait et en savoir un peu plus… Car, comme le dit un autre de ses comparses, Denis Chapus :

« s’il ne savait pas tout, il ne savait rien ! » et puis le respect des auteurs et de leur travail est une manière chez lui d’aristocratie ouvrière et de courtoisie entre artisans du même art, une sorte de « compagnonnage ». C’était son côté « communard ».

Mais il savait avoir la dent dure ! Et je voulais dans cette évocation amicale et fraternelle de sa personnalité intransigeante le citer tout simplement. Dans le tome un de son ouvrage sur les photographes périgourdins, Thierry écrit ceci ; je cite

« J’ai une pensée amicale ou amoureuse, selon les cas, pour mes ami(e)s et les proches qui ont accompagnés pendant ces quinze années, ma boulimie photophagique. Ils se reconnaitront.

Je remercie moins les amateurs ou professionnels de la res antica jouissent de garder par devers eux tout ou partie du supposé « trésor » qui encombre le grenier sans générosité de leur tour d’ivoire. Ils se reconnaitront aussi. »

Dans les années 80, il fut également l’auteur d’un almanach satirique de la vie locale dignes des pamphlétaires du début du siècle dernier, où il eu l’audace d’affuter son esprit vif-argent, sa plume et sa lame proche de celle de Cyrano, pour brocarder l’institution, quelques hommes politiques, les tartufes, ceux qui jugent, ceux qui savent, les décideurs de pacotille, les Trissotins et les flagorneurs de tous poils. Et ce qui frappe dans ce style plein d’humour léger, c’est une sorte de « férocité bienveillante ».

Thierry préférait apprendre que savoir ! Il n’a pas seulement laissé des traces de lui mais surtout des traces de nous tous. Les gens ! Le projet en cours concerne les publicités anciennes, la « réclame « comme on disait naguère ; L’occasion, là encore, de faire découvrir aux jeunes générations des produits ou des breuvages dont les anciens se rappellent peut-être encore le goût. Le Cinzano, le guignolet kirsch, le remède de jouvence de l’abbé Soury, le légendaire Fernel branca ou le Byrrh.

Nous souhaitons tous, avec gourmandise, que ce livre, bien avancé, voit prochainement le jour Pour finir, je pense à un proverbe arabe qui dit que

« Tout ce qui n’est pas partagé est perdu. »

Thierry, Longue VIE aux cadeaux que tu nous as laissés !

Je finirai d’un mot : l’un des plus beaux de notre langue et de toutes les langues du Monde : MERCI !


Auteur : Michel Grégoire, (pour la famille de Thierry Boisvert et au nom de sa tribu élargie : ses amis)

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Commentaire de Anonymous Bonnal , le 19 juillet 2011 à 13:16  

Thierry Boisvert est un formidable ami historien, spécialiste des photographes du périgord et auteur de nombreux ouvrages; le pèrigord peut-être fier de l'un de ses fils!

 

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