Lacombe & Bordes - Le vrai visage d'Eugène Leroy vendredi 26 août 2011

Lecture pour tous

La rubrique que voici est nommée « Lecture pour tous » en hommage à Pierre Desgraupes (originaire de Mensignac en Dordogne) qui créa, en 1953, sous ce nom la première émission de télévision dédiée à la lecture.

Eugène Le Roy reste un écrivain marginal mais non dénué d’intérêt pour comprendre la société rurale française sous la IIIè République. Sans le film de Stellio Lorenzi « Jacquou le croquant » il n’aurait pas caressé un gloire qui, de son vivant, ne l’a jamais atteint. Richard Bordes et Claude Lacombe ouvrent de nombreuses portes sur un personnage farouche et sensible qui n’a jamais véritablement épousé son temps.
Claude Lacombe et Richard Bordes, auteurs de « Le vrai visage d'Eugène Le Roy » installés au Irish Corner 2010 © WL pour periblog.fr

Lorsque, en 1957, année où l’universitaire américaine Pauline Newman publia la première biographie sur Eugène Le Roy, celui qu’elle considérait comme un romancier périgordin ne bénéficiait que d’un écho réduit aux marches du Périgord. Il fallut la réalisation du film « Jacquou le croquant » tiré du roman éponyme pour que la France entière vibre au lendemain de mai 68 aux accents révolutionnaires d’un véritable mythe où l’émotion bien entretenue assura le succès.

Richard Bordes et Claude Lacombe imposent ce qu’ils appellent une contre-enquête

Depuis, Eugène Le Roy a été ausculté par de nombreux historiens et autres savants. L’historienne Joëlle Chevé, par exemple, ayant donné dans Icare au pays des croquants une analyse subtile de cet auteur et de son œuvre. En annonçant « le vrai visage d’Eugène Le Roy » Richard Bordes et Claude Lacombe imposent ce qu’ils appellent une contre-enquête. Est-ce à dire que la personnalité et l’œuvre du Périgordin furent malmenées ? On peut le croire car le visage à la barbe de patriarche a été érigé trop rapidement et de façon plutôt simpliste dans un panthéon littéraire local désuet puis détourné à des fins diverses. De même, l’œuvre d’Eugène Le Roy s’est trouvée étouffée par ce populaire Jacquou. Fausta Gavarini, critique littéraire n’hésitant pas à écrire sur Eugène Le Roy : « Romancier indiscutablement faible sur le plan narratif, Le Roy nous intéresse par ses échecs (…) il se révèle un héritier attardé d’un romantisme en rien novateur (…) à la limite du pamphlet ».

Des origines contestées à l’engagement idéologique Eugène Le Roy apparaît à la fois hésitant et résolu

Les auteurs sont remontés aux sources non seulement du personnage d’Eugène Le Roy mais des multiples interprétations qu’il suscita. Ils replacent les différentes facettes qui furent les siennes dans les contextes de son temps et de ses paysages appuyant leurs propos sur des recherches très fouillées. Ils en restituent une somme parfois laborieuse mais nécessaire à une tentative de compréhension qui tout en se refusant à l’hagiographie laisse poindre une certaine compassion et même admiration pour le « sage de Montignac ».

Des origines contestées à l’engagement idéologique Eugène Le Roy apparaît à la fois hésitant et résolu. Une ambivalence qui contrarie toute ses carrières et détruit ses éventuelles et légitimes ambitions. Elle en explique aussi la modeste notoriété faute d’en constater la faiblesse littéraire.

Il est probable, à la lecture de ce travail, qu’Eugène Le Roy sut s’affranchir des frustrations de la vie en transmuant celles-ci dans son expression romanesque. La réalité est transcendée par l’imaginaire et les idéaux. D’ailleurs, dans le moulin du Frau, ne dit-il pas : « C’est comme ça, que les trois quarts du temps, les gens parlent plutôt selon leur idée que selon la vérité. »

Au fond, il est à l’image de l’ethnie périgorde

Il fut fonctionnaire, Radical et franc-maçon. On peut dire qu’il épousait l’ascenseur social qui caractérise sa région natale et son époque. Doit-on y déceler un certain opportunisme ? Rien ne s’y oppose. Au fond, il est à l’image de l’ethnie périgorde. Il en subit aussi les aléas notamment avec sa révocation de de la fonction publique suivie, d’une rapide réintégration. Il s’est astreint toute sa vie aux rives rassurantes de son terroir exprimant ainsi une appréhension à affronter le monde si ce n’est le différend.

Les auteurs s’attardent avec force détails sur l’engagement maçonnique d’Eugène Le Roy. L’idéal maçonnique est disséqué avec finesse et précision en réduisant son impact dans l’expression romanesque d’Eugène Le Roy. Les auteurs s’attardent sur cette maçonnerie en réduisant les images populistes, développant l’histoire de cette société discrète dans la vie locale mais aussi le long parcours d’Eugène Le Roy, ses influences et expressions.

Une remarquable plongée dans le Périgord sous la IIIè République

De même l’anticléricalisme dont on a affublé Eugène Le Roy est tempéré sans que pour autant ses convictions ne soient atténuées. Il faut apprécier le travail des auteurs sur le contexte de l’époque qui précède et accompagne les lois de séparation de l'Église et de l'État pour ne pas tomber dans les clichés hâtifs et faux. De même, Le Roy fut-il nationaliste et antisémite ? Questions provocatrices et finalement secondaires tant le contexte de l’époque est différend du nôtre. Mais les auteurs les posent courageusement et y répondent avec toute la mesure de l’historien.

Fort original et profitable que le travail de Richard Bordes et Claude Lacombe sur l’iconographie qui entoure Eugène Le Roy. On y découvre une certaine profusion qui est demeurée bien cachée ou disséminée et donne au personnage de nouvelles variations et sensations.

De même, si Eugène Le Roy n’a pas la faconde d’un provençal, exprimant plutôt un caractère bourru si ce n’est ombrageux, les auteurs n’y concèdent qu’une façade. La collecte des témoignages qui n’apparaissent qu’avec la notoriété d’Eugène Le Roy semble conforter une personnalité dénuée de toute ambition, infatigable marcheur dans les paysages qui l’enveloppent et le nourrissent.

Eugène Le Roy, un chemin contrarié

L’homme n’apparaît pas, au final, comme un joyeux luron.
Gabriel Coussirou écrivait en 1904 : « Coiffé d’un large chapeau de feutre à la mode de l’époque, sa longue barbe, son pas lourd symbolisaient la sévérité. » Personnage de légende ? Oui mais une légende circonscrite à un milieu qui reflète bien un itinéraire sourcilleux, absent de toute suffisance, résolument amarré à sa terre natale au point d’y soumettre ses prétentions littéraires. On pourrait mettre en parallèle un autre auteur périgordin de son temps : Léon Bloy. Ce dernier témoigne d’une passion et d’une aventure mystiques qu’il serait judicieux de comparer avec le chemin que l’on peut qualifier de « contrarié » qui fut celui d’Eugène Le Roy. Beaucoup de similitudes entre les deux hommes, qui restent à étudier.

Au sortir de cette lecture, il n’est pas acquis qu’Eugène Le Roy fut heureux, ni si bien « dans ses sabots » que veulent le faire partager les auteurs. Toutefois, désormais, on sait un peu plus et mieux qui est Eugène Le Roy.

Auteur : Pascal SERRE


« Le vrai visage d’Eugène Le Roy »

Richard Bordes et Claude Lacombe, La Lauze, 326 pages, 25 €.

Pensée de la semaine

« On ne devrait lire que les livres qui nous piquent et nous mordent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne à quoi bon le lire ? »
Sacha Guitry, acteur et dramaturge – 1885-1957).

Sacha Guitry, de son nom complet Alexandre Georges-Pierre Guitry, est un comédien et dramaturge français, metteur en scène de théâtre, réalisateur et scénariste de cinéma, né le 21 février 1885 à Saint-Pétersbourg (Russie) et mort le 24 juillet 1957 à Paris.

Auteur dramatique prolifique, il a écrit 124 pièces de théâtre, dont beaucoup furent de grands succès, et en a adapté lui-même dix-sept au cinéma. Interprète de la quasi-totalité de ses films, il est l'auteur d'une œuvre cinématographique, riche de trente-six films, qui comprend notamment Le Roman d'un tricheur, Désiré, Mon père avait raison, Quadrille, Ils étaient neuf célibataires, La Poison, Si Versailles m'était conté, Assassins et voleurs. Source Wikipédia


Le journaliste périgordin Pascal Serre est membre de :
  • Institut Montaigne (Paris)
  • Fondation Terra Nova (Paris)
  • Fondation de la France Libre (Paris)

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