Simon Coencas, dernier survivant des inventeurs de Lascaux lundi 4 novembre 2013
Le dernier découvreur de Lascaux témoigne
Franchement, à 87 ans, j’espère bien rester le plus longtemps possible ce survivant-là ! (sourire) En fait, je n’ai jamais vraiment songé que je risquais de rester le dernier témoin, car cette histoire correspond à une aventure collective. Elle a toujours été très bien rodée entre nous, les quatre copains de Lascaux.

C’est très bien de faire ainsi circuler Lascaux, et cela me fait effectivement bien plaisir. Car qui aurait pu imaginer que notre équipée dans les bois aurait pareilles répercussions ! Mais sans doute est-ce la reconnaissance du caractère unique de cette merveilleuse grotte, malgré les maux qui l’ont meurtrie et qui m’ont, aussi, bien affecté. Regardez Chauvet, elle est magnifique, mais son côté colossal empêche qu’on puisse la comparer à Lascaux. Les grottes de Cussac et Cosquer sont splendides aussi, mais bien différentes.
Moi dernier survivant – avez-vous dit – du quatuor ébloui ce jour-là par le jaillissement, au bout de la torche de Marcel Ravidat, d’animaux peints il y a 15 000 ans, je suis particulièrement sensible à la question de la transmission. Bien sûr, il y a Marinette Ravidat, veuve de Marcel, qui maintient fidèlement, à Montignac, le flambeau. Mais elle n’a pas plus de légitimité, par rapport à Lascaux, que ma femme Gisèle ou la veuve de Georges Agniel récemment disparu.
Le seul légataire du souvenir de Lascaux – et je ne parle pas là de la propriété de la grotte, qui est d’État –, c’est Thierry Félix. Auteur avec Philippe Bigotto de la BD « Le secret des bois de Lascaux » que j’utilise souvent comme cadeau – récemment encore pour des Ukrainiens m’ayant écrit –, il prépare effectivement en ce moment un film conforme à l’Histoire.
[ voir toute un site Web concernant « Filmer Lascaux », le film de Maurice Bunio ] [ en savoir plus sur « Ombre et lumière sur la colline magique », le film de Pierre-Lucien Bertrand ]
Jusqu’à présent, je n’en vois aucune qui ait vraiment reflété la réalité. Un projet de film a même été caressé avec Josée Dayan, mais il n’a pas connu de suite. Un film sur Lascaux ne peut se faire que dans la transparence. En tout cas, si quelqu’un voulait, sans nous consulter, vendre notre histoire en l’adaptant à l’écran, je l’attaquerais. Cela au nom du principe qu’il faut être réglo en affaires – un domaine dont je connais un rayon, ayant passé ma vie à traiter avec des industriels.
Pas du tout ! Je revois encore Marcel en train de ramper. Nous étions plutôt en quête d’un trésor. Quant à l’histoire du chien Robot, elle appartient à la légende. Enfin, si l’instituteur Léon Laval ne nous avait pas écoutés, l’histoire aurait tourné court !
Mes parents, commerçants à Paris, avaient placé leurs cinq enfants – dont moi – en vacances à Salignac. Nous avons gagné Montignac d’où je suis reparti dès 1940. Arrêté comme israélite en 1942, j’ai été conduit au camp de Drancy, J’en ai été libéré au nom d’une loi protégeant les juifs de moins 16 ans, qui n’a pourtant pas empêché la déportation des 4 000 jeunes juifs parqués au Vel’d’Hiv’... Ensuite, alors qu’une partie de ma famille était déportée, j’ai pu me cacher dans le 9e arrondissement de Paris.
Marcel Ravidat, lui, a été maquisard et Jacques Marsal est parti en captivité… alors qu’une de ses dernières visites de Lascaux lui avait fait guider des soldats allemands en vert-de-gris !
À la Libération, comme mon père, je suis devenu brocanteur puis ferrailleur…
Le groupe s’est ressoudé plus tard, le temps que chacun construise sa vie. À Montignac, Marcel Ravidat, leader très écouté, était un vrai homme de Cro-Magnon. Jacques Marsal, très intelligent, était plus proche de lui géographiquement mais parfois un peu son rival. Moi j’étais, à Paris, voisin de Georges Agniel, bon garçon très réservé. Mais nous étions tous proches, et Jacques Marsal est par exemple venu chez moi à Paris passer un mois pendant des inondations en Dordogne.
Si vous parlez de la gloire à Montignac, elle était en quelque sorte normale, puisque nous avons fait la fortune de la cité ! Je me rappelle d’ailleurs m’être mêlé, pour rire, à des groupes de touristes dans la grotte, que j’ai bien sûr revisitée des tas de fois ; j’ai aussi participé à des dédicaces, des signatures, des fêtes d’écoles, etc. Mais je n’ai jamais cherché les honneurs, ni heureusement… l’argent ! S’il y en avait eu à gagner, il serait revenu à mes enfants. Mais on n’a récupéré aucun droit par rapport à la découverte – malgré les conseils de certains –, on n’a pas non plus revendu, contrairement au Régourdou, ce site à proximité de Lascaux, de pièces archéologiques… ce qui explique donc aussi ma vigilance à éviter que d’autres en profitent !
C’est vrai, une fois par Roland Dumas, pour le jubilé de Lascaux lorsque, en 1990, François Mitterrand est venu fêter les 50 ans de la découverte. Jacques Marsal était déjà décédé et nous avons eu un peu l’impression de faire de la figuration. La deuxième fois, en 2010, pour les 60 ans, Georges Aniel et moi – Ravidat ayant disparu – avons été médaillés au Ministère de la culture par Frédéric Mitterrand. Le courant passa très bien. Depuis, à part la visite du président Nicolas Sarkozy à Lascaux, silence radio. Je suis le dernier des inventeurs, on nous a oubliés, on m’a oublié…
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