Un écho qui résonne mal samedi 10 novembre 2012

Pour la troisième fois le journal « L'Écho Dordogne » a été placé en redressement judiciaire. Entre économie et liberté d'expression cet événement pose la question de l'existence d'une presse écrite d'opinion en province. État des lieux en Dordogne.

Fin octobre le Club de la presse du Périgord avait organisé une rencontre-débat sur le thème : « Comment va la presse locale ? » L'hypothèse d'un nouveau dépôt de bilan du quotidien L'Écho Dordogne avait été balayée d'un revers de plume. Et pourtant l'état de cessation de paiement était avéré et, à la direction, le dépôt de bilan était presque une certitude.

De même le débat éclipsait confraternellement la rumeur d'une restructuration du groupe Sud-Ouest qui relève avant tout d'une anticipation d'une réalité économique qui s'annonce difficile.

L'Écho : une presse entre opinion et rentabilité

Lors du précédent dépôt de bilan, en 1998, le quotidien Libération titrait :

« L'Écho du centre autorisé à survivre ». Ce fut le cas même si le redressement judiciaire était clôturé favorablement en 2009. Depuis la fin des années 80 le groupe de presse communiste devait faire face à une série de revers à la fois lié à l'effondrement de l'idéologie à laquelle il était associé mais aussi aux mutations de la presse papier.

Dès 1994, le journal assurait son indépendance au travers d'une association Pluralisme dans laquelle se retrouvaient le quotidien national Le Monde, les quotidiens régionaux Centre-France, Sud-Ouest, et des investisseurs privés régionaux.

Cette troisième mise en redressement judiciaire a été accompagnée de la nomination d'un administrateur et un rendez-vous a été fixé en janvier prochain pour présenter un plan de poursuite d'activité.

Les restructurations menées ne suffirent pas. Les ventes et la publicité continuèrent de baisser. La ligne éditoriale ne trouvait pas son lectorat.

La direction met en avant des problèmes de trésorerie. Pourtant la perte constatée – 243 000 € – est consécutive à une exploitation déficitaire structurelle et pose la question de la viabilité du journal.

La probabilité de la réduction de l'effectif n'est d'ailleurs pas écartée ce qui ne manquera pas de créer des soubresauts internes. On peut s'interroger sur l'avenir de l'édition de la Dordogne qui serait la plus fragile.

Lors d'un récent tête à tête avec Claude Estier journaliste et ancien sénateur socialiste celui-ci me faisait part de ses lourdes inquiétudes sur l'avenir de la presse française. Il se faisait à la fois lucide et pessimiste.

Le modèle de presse issu de la Résistance basé sur l'engagement et l'opinion a cédé devant les mondes industriel et financier. L'arrivée d'internet ayant donné le coup de grâce en bouleversant les modes de consommation.

L'avenir de L'Écho pose cruellement la question de la presse d'opinion et du journalisme engagé. Réponse en janvier 2013.

Le groupe Sud-Ouest face à ses défis

En Dordogne, le groupe Sud-ouest n'échappe pas à ces mutations. Les discrètes restructurations entre les deux quotidiens – Sud-Ouest et La Dordogne Libre – ont été imposées par Natixis en charge de la recapitalisation du groupe. Olivier Gerolami, président du directoire vient d'annoncer une « ouverture à la consolidation » et un déficit de 3 millions d'euros pour 2012. Déjà, en 2007, un audit avait posé la question taboue de l'opportunité d'avoir deux quotidiens sur la même zone de diffusion. La consolidation pourrait donner la réponse.

Les deux quotidiens sont déjà en économie de guerre ce qui accorde une plus grande souplesse face à la légère baisse de la diffusion et surtout celle de la publicité. La multiplication et la diversification au travers de la marque Sud-Ouest d'édition thématiques, la recherche d'un modèle économique autour du numérique étant depuis longtemps engagées.

En Dordogne, avec 35 637 exemplaires Sud-Ouest domine sans partage le marché de la presse écrite. Sa diffusion est stable ce qui est déjà un succès.

La Dordogne Libre après un remarquable redressement entamé en 1983 a vu, en 2010, pour la première fois ses ventes baisser passant de 6 272 en 2010 à 6 008 exemplaires en 2011. La restructuration achevée devrait pérenniser le titre lequel en 2010 représentait 1,978 millions d'euros de chiffre d'affaires et un résultat de 97 000 euros. Quelle sera sa forme ? Quotidien ou hebdomadaire ? À suivre.

Les deux quotidiens font face à la baisse des recettes publicitaires et annonces légales ce qui justifie la recherche d'un nouveau modèle économique dans laquelle le groupe Sud-Ouest est engagé depuis cinq ans.

Contrairement à la Société Nouvelle Echo Marseillaise (SNEM) qui édite l'Écho, la culture du groupe Sud-Ouest permet de faire face aux défis économiques et sociétaux.

Le comité d'entreprise extraordinaire de Sud-Ouest programmé ce 9 novembre devra être examiné avec une grande attention.

Avec sa devise

« Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres » reprise à la figure emblématique du Siècle des Lumières qu'est Beaumarchais, Sud-Ouest ne se considère en aucune façon comme un journal d'opinion. Le groupe dans son ensemble épouse son temps avec une vision industrielle et financière scrupuleuse. C'est là sa principale force.

Des hebdomadaires en devenir

Dans le paysage médiatique départemental il faut souligner quatre hebdomadaires : Le Courrier Français, Le Démocrate de Bergerac, Réussir le Périgord et L'Essor Sarladais.

Pour Le Courrier Français, dont la diffusion probable ne saurait dépasser 2 000 exemplaires il est intégré et soutenu par sa logique de groupe qui couvre une dizaine d'éditions. Le Courrier Français en Dordogne est couvert par un journaliste entouré d'une équipe de bénévoles. Il n'y a aucune publicité locale et les annonces légales qui faisaient sa principale ressource sont en baisse.

Le Courrier Français peut être considéré comme un journal d'opinion dans la mesure où il affiche clairement son identité catholique.

Pour, Le Démocrate de Bergerac diffusé sur le bassin de vie de Bergerac, repris en 2008 par Jean-Pierre de Kerraoul(1) la situation économique est précaire mais soutenue par la même logique de groupe. Le Démocrate de Bergerac annonce une diffusion de 4 555 exemplaires.

Réussir le Périgord dirigé par Jean Ricateau et édité par la Société d'Éditions Rurales Périgordines que dirige Claudine Faure,(2) a pris la suite de L'Agriculteur de la Dordogne créé en 1955.

En 2003, afin de doter le titre d’une structure juridique et financière pérenne les chambres de métiers et d'agriculture de la Dordogne, COOPCERNO, la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles ainsi qu’une douzaine d’actionnaires se sont constitués en société anonyme nationale à conseil d'administration. La ligne éditoriale s'est orientée sur la ruralité.

La SERP est à l’origine actionnaire du groupe Réussir qui regroupe 43 éditeurs assurant une cohérence et une synergie au journal.

La diffusion déclarée est de 8 940 exemplaires dont 8 013 abonnés. Le journal bénéficie d’un certain nombre d’abonnements groupés servis auprès des actionnaires et présente une diffusion en kiosque marginale. Le taux exceptionnel d’abonnement lui assure une forte audience dans les milieux agricoles.

La publicité reste tout aussi mineure car très liée à son identité rurale.

Si la SERP demeure économiquement fragile – en 2011 elle accusait une perte de 15 900 € – elle présente un bilan favorable. La structure emploie 13 personnes. Ce qui en fait – en dehors des quotidiens – la structure la plus étoffée en matière de presse.

Pour L'Essor Sarladais, édité par L'Imprimerie du Sarladais et dirigé par Michel et Josette Delpech respectivement directeur et rédacteur en chef, c'est une véritable institution qui affiche un succès économique dû à une structure rédactionnelle bénévole. Toutefois, entre 2006 et 2012 la diffusion est passée de 8 095 à 7 633 exemplaires soit une baisse de 5,7%. La publicité essentiellement locale est encore très présente mais souffre de la conjoncture et de la modification structurelle du tissu économique moins sensible à la fibre ethnique. L'originalité de L'Essor Sarladais basée sur son histoire et son actuel propriétaire ne saurait perdurer sans succomber à la concentration de la presse. Reste à savoir avec quel groupe et sous quelles conditions pourraient s'intégrer L'Essor Sarladais dans le futur.

Cet ensemble d'hebdomadaires ne manque pas de panache et de bénévolat. Chacun tente du mieux qu'il peut d'occuper sa niche sans succomber aux mutations mais sans réelle ambition éditoriale. Il n'y a dans aucun de ceux-ci une opinion particulière sur leur temps. Ils sont les miroirs d'une société provinciale toute balzacienne. C'est à la fois leur force et leur faiblesse.

La mise en redressement judiciaire de « L'Écho » est un coup de semonce

La mise en redressement judiciaire de L'Écho est un coup de semonce qui ne surprendra aucun des professionnels de la presse écrite. Elle marque le déclin des idéologies et nous éloigne du célèbre

« J'accuse » d'Émile Zola. Le lecteur a la presse non pas qu'il mérite mais celle pour laquelle il est prêt à ouvrir son porte-monnaie. S'il y a encore des journalistes engagés, la presse écrite dans son ensemble est confrontée à un double défi : d'une part, l'apparition de nouveaux comportements de consommation de l'information avec internet ; d'autre part, de nouvelles attentes sur les contenus. La Dordogne n'échappe pas à ce mouvement.

On pourra regretter le formatage et la stérilisation de l'information locale mais ils répondent aux contraintes du marché et à la logique commerciale qui rappellent aux journaux qu'ils sont avant tout des entreprises.

On peut toutefois attribuer la baisse d'intérêt pour la presse écrite locale à ses contenus. Les lecteurs attendent-ils de celle-ci une plus grande liberté de ton et une moindre complaisance avec les acteurs publics ? Le journalisme d'investigation inexistant, les analyses et opinions abandonnées sont-ils des questions à poser pour relancer l'intérêt des lecteurs dans la presse écrite ?

Il est évident que la situation presque économiquement irrémédiable de L'Écho sonne mal pour celles et ceux qui souhaitent une véritable presse écrite libérée des pernicieuses et inséparables chaînes de l'Argent. Le débat sur ces alliances faustiennes n'est pas clos.

Auteur : Pascal Serre

1) Jean-Pierre de Kerraoul, Président du Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale (1991-2000), président de la Fédération Nationale de la Presse Française (1996-1998)

2) Claudine Faure, présidente de la Mutualité Sociale Agricole Dordogne et Lot-et-Garonne.


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Commentaire de Anonymous Alain Bernard , le 11 novembre 2012 à 19:08  

Comme d'hab', le gars est fin et son propos bien articulé. Il y manque toutefois, à mon avis, à côté des chiffres et du management, un côté "humain" : qu'on soit coco ou pas, les types de L’Écho ont fait, avec des clopinettes, un boulot remarquable à titre perso, pas forcément politique.

De même à Sud Ouest on a bossé comme des malades pour moderniser le journal, bien au-delà des 35 petites heures frileuses du Code du travail. Pour le plaisir. Trop facile de dire qu'il n'y a rien dans les colonnes de journal. C'est plutôt les gens qui ont la paresse de lire. De même qu'on a tout attendu des radios libres, on attend tout maintenant d'internet. Très bien, mais quel que soit le support, la curiosité, la pertinence, l'humour, le travail bien fait seront toujours la seule garantie pour capter et conserver le client-roi qu'est le lecteur, auditeur ou internaute. Le reste est en bonne partie un faux procès d'intellectuels fatigués. AB

Commentaire de Anonymous Nicolas Bouvier , le 21 novembre 2012 à 17:50  

Excellent article M. Serre, mais je voudrais dire qu'ayant travaillé 2 mois (je sais c'est peu mais c'était un job d'été) en tant que secrétaire de rédaction à l'Echo, outre les considérations économiques, ce qui m'a intéressé était l'ambiance, le style et la façon de travailler. Contrairement à beaucoup de journaux (que ce soit à Périgueux ou en général), la cadence de travail est bien différene et il n'y a aucune considération pour "l'humain" que l'on prend plutôt pour une machine. Bien que l'avenir de la presse écrite m'inquiète de plus en plus, j'ai toujours pour objectif de faire du journalisme. Tout ce que j'espère, c'est qu'un jour, la presse écrite (format papier) ne se laissera pas déborder par le numérique et que l'on arrivera à maintenir l'originalité et le caractère indispensable de ce moyen d'expression.

Commentaire de Anonymous Pascal Serre , le 23 novembre 2012 à 07:27  

Ayant fait mon entrée dans le journalisme par l’agence du quotidien “Le Populaire du centre” à Périgueux - 2 mois aussi - je partage totalement le propos de Nicolas Bouvier. D’Albert Londres à l’échotier de Périgueux il y aurait vraisemblablement le même constat : l’humain disparaît au profit de la rentabilité financière. Si la liberté d’expression est une belle utopie depuis toujours la presse est devenue aujourd’hui aussi une utopie idéalisée. Si il reste des journalistes il faut les imaginer utopistes. Tant pis pour les autres. Mais c’est un opinion qui engage que moi. J’espère que nous en arriverons pas à ce détournement de slogan emprunter à l’homme à la Rolex – Séguéla - : ne dites pas à ma mère que je suis journaliste elle croit que je suis pianiste dans un bordel.
Pascal Serre

 

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